14 Oct, 2022 | Veille juridique

Avis d’inaptitude et consultation du CSE

Par un arrêt en date du 8 juin 2022, la Cour de cassation lève l’ambiguïté sur l’existence d’une obligation de consulter les représentants du personnel sur le reclassement d’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail et pour lequel ce dernier avait précisé que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

En présence de l’une de ces deux mentions sur l’avis d’inaptitude, l’employeur n’est tenu ni de rechercher un poste de reclassement, ni de consulter les représentants du personnel sur le reclassement avant de procéder au licenciement du salarié concerné.

I. La dispense d’obligation de reclassement introduite par la loi du 8 août 2016.

Dans un souci d’assouplir la procédure de licenciement pour inaptitude, la loi « El-Khomri » du 8 août 2016 dispensait l’employeur de son obligation de rechercher un poste de reclassement dans les hypothèses où le médecin du travail avait porté sur l’avis d’inaptitude que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » [1].

Cet important changement entré en vigueur le 1er janvier 2017 venait donc sécuriser la situation des employeurs confrontés à une inaptitude à tout poste dans l’entreprise puisque l’insuffisance des recherches de reclassement ne pouvait plus leur être reprochée en cas de contentieux.

En effet, l’obligation de rechercher un poste de reclassement s’analysant en une obligation d’ordre public [2] et constituant une formalité substantielle de la procédure de licenciement, sa méconnaissance ouvre droit à une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois [3].

La question, toutefois, n’était pas tranchée de savoir si subsistait la procédure de consultation des représentants du personnel sur le reclassement envisagé aux mêmes articles.

II. Les raisons de l’incertitude.

Dans la mesure où il n’existait anciennement aucune exception à l’obligation de reclassement du salarié déclaré inapte par le médecin du travail, la Cour de cassation faisait, pour toutes les situations antérieures à l’entrée en vigueur de la réforme « El-Khomri » à compter du 1er janvier 2017, une lecture stricte des articles L1226-10 et L1226-12.

Elle considérait ainsi que la consultation des représentants du personnel sur le reclassement était une obligation pour l’employeur y compris quand ce dernier n’avait aucune solution de reclassement à proposer au salarié reconnu inapte [4].

La loi « El-Khomri » du 8 août 2016 ayant unifié les procédures de consultation des représentants du personnel des licenciements pour inaptitude d’origine professionnelles et non-professionnelle sans apporter de changement sur ce point précis, il était légitimement à craindre que l’intention du législateur soit de maintenir le statu quo ante concernant son caractère obligatoire y compris en cas d’inaptitude ne permettant, selon l’avis du médecin du travail, aucun retour dans l’entreprise.

Faute de précision suffisante des textes, il était donc délicat de déterminer si la dispense d’obligation de reclassement introduite par la loi du 8 août 2016 dans ces hypothèses précises permettait de s’abstenir de consulter les représentants du personnel avant de licencier.

Toutefois, en considération de l’importance de la sanction prévisible qui serait attachée à une absence de consultation du CSE (risque de condamnation à une indemnité au moins égale aux salaires des 6 derniers mois), il était fréquemment conseillé aux chefs d’entreprises de tirer profit du délai d’un mois existant entre la décision d’inaptitude et la date d’obligation de reprise du versement du salaire pour consulter les représentants du personnel avant de procéder au licenciement.

Cette précaution qui en apparence n’occasionnait aucun frais pour l’employeur constituait cependant une contrainte qui mobilisait les directions des ressources humaines et les représentants du personnel sans raison véritable, puisque la rupture du contrat était, à ce stade, inéluctable.

La Direction Générale du Travail, dont les recommandations prennent une place grandissante parmi les sources du droit social [5] avait voulu trancher en indiquant dès 2019 dans son Guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés que « par voie de conséquence, l’employeur est dispensé de l’obligation de consulter le CSE » [6].

Néanmoins, les solutions divergeaient selon les cours d’appel quant au maintien de l’obligation de consulter les représentants du personnel en présence de la mention « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Si les cours d’appel de Riom [7], de Lyon [8] et de Paris [9] avaient pris acte des changements opérés par la loi du 8 août 2016 et considéraient que l’employeur était alors dispensé de consulter les représentants du personnel, celles de Bourges [10] et de Chambéry [11] continuaient de considérer que celle-ci était une obligation substantielle de la procédure de licenciement, au motif notamment que l’article L1226-10 ne prévoyait aucun cas de dispense.

C’est sur la décision de cette dernière cour d’appel que s’appuie la Haute juridiction pour mettre fin aux solutions jurisprudentielles antérieures.

III. La solution de la Cour de cassation.

Par un arrêt publié au bulletin et au visa des articles L1226-10 et L1226-12 du Code du travail, la Cour de cassation donne son plein effet à la loi du 8 août 2016 et opère un revirement bienvenu.

De façon limpide et sécurisante, elle énonce en effet que l’employeur « qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement » n’a alors « pas l’obligation de consulter » les représentants du personnel sur un tel reclassement.

Elle casse alors logiquement l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry qui condamnait l’employeur à indemniser le salarié au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement tirée de l’absence de consultation des délégués du personnel.

La chambre sociale affirme ainsi que dans les hypothèses où le médecin du travail avait porté sur l’avis d’inaptitude que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou la mention « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi », l’employeur n’est tenu ni à une obligation de reclassement, ni à une obligation de consulter les représentants du personnel sur le reclassement.

Par cette décision, la Cour de cassation allège donc une procédure de licenciement dont les contraintes procédurales n’assuraient, en pratique, aucune garantie supplémentaire au salarié inapte.

Si cette espèce concerne une inaptitude d’origine professionnelle, cette solution a selon nous a vocation à s’appliquer également dans le cas d’un licenciement pour inaptitude d’origine non-professionnelle puisque le contenu de l’obligation de reclassement est identique dans les deux situations.

[1] L1226-2 et L1226-12 du Code du travail. [2] Cass. soc. 12 février 2002, n° 99-41.968 [3] Article L1226-15 du Code du travail. [4] Cass. soc., 21 févr. 1990, n° 88-42.125, Cass. soc., 22 juin 1994, n° 91-41.610 ; Cass. soc., 30 septembre 2020 n° 19-16.488. [5] Grégoire Loiseau et Stéphane Bloch, « Les techno-normes », Droit Social, N° 6, 2021, p. 484. [6] Guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés, Bureau du statut protecteur (DASIT 2) septembre 2019, page 88. [7] Cour d’appel de Riom, 3 avril 2018, n° 16/01261. [8] Cour d’appel de Lyon, 5 novembre 2021, n° 19/01393. [9] Cour d’appel de Paris, 2 décembre 2020, n° 14/11428. [10] Cour d’appel de Bourges, 18 juin 2021, n° 20/00883. [11] Cour d’appel de Chambéry, Chambre sociale, Arrêt du 22 octobre 2020.

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