Dans un arrêt du 4 novembre 2020 (Cass. Soc. 4 novembre 2020, n°18-23.029) destiné à la plus large publication, la Cour de cassation affirme pour la première fois que la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements économiques consécutifs à cette réorganisation.
Néanmoins, les juges du Quai de l’horloge pose un garde-fou, précisant que l’erreur de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute.
I – Un licenciement injustifié en cas de faute de l’employeur.
l est de jurisprudence constante que la réalité de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe dont elle relève et justifiant une réorganisation de celle-ci doit être appréciée par le juge [1].
Un tempérament a toutefois été posé à ce principe. En effet, le juge ne peut se prononcer sur la cause du motif économique [2], ni apprécier les choix de gestion de l’employeur et leurs répercussions sur l’entreprise [3].
En revanche, la jurisprudence considère traditionnellement que l’employeur ne peut se prévaloir d’une situation économique résultant :
D’une légèreté blâmable de sa part [4];
D’une attitude intentionnelle et frauduleuse [5] ;
D’agissements fautifs allant au-delà des seules erreurs de gestion [6].
Un licenciement intervenu dans ces conditions sera dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Pour la première fois, la Haute juridiction vient d’appliquer ce principe aux licenciements motivés par la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
En l’espèce, des salariés de la société Pages jaunes ont été licenciés à la suite du refus de la modification de leur contrat de travail proposée dans le cadre de cette réorganisation.
Plusieurs salariés ont contesté leur licenciement économique, arguant de remontées de dividendes de la société vers sa holding, destinées à assurer le remboursement d’un emprunt du groupe dans le cadre d’une opération Leveraged buy-out (LBO). Ils mettaient en avant le fait que ce remboursement avait empêché le financement des investissements stratégiques de la société Pages jaunes.
La Haute juridiction vient préciser par cet arrêt que :
« la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation ».
Elle transpose ainsi au motif de la sauvegarde de compétitivité la jurisprudence développée dans le cadre de licenciements consécutifs à des difficultés économiques ou à une cessation d’activité.
II – L’absence d’immixtion du juge dans les choix de gestion de l’employeur.
Tout en admettant la possibilité pour le juge de vérifier que la menace sur la compétitivité n’est pas due à une faute de l’employeur, la Haute juridiction précise que
« l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute ».
Elle censure ainsi l’arrêt de la Cour d’appel de Caen, celle-ci ayant seulement caractérisé la faute de l’employeur par
« des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires ».
Dans sa note explicative, la Chambre sociale admet que la frontière entre la faute et
« les choix de gestions de l’employeur parait plus ténue en matière de réorganisation que de difficultés économiques ».
En outre, si la pratique pourra s’avérer complexe pour les juges du fond, la note affirme que la Cour de cassation restera
« vigilante à ce que, sous couvert d’un contrôle de la faute, les juges du fond n’exercent pas un contrôle sur les choix de gestion de l’employeur ».
Kevin Bouleau