Article publié sur Lexbase Hebdo – la lettre juridique Edition n°728 du 18/10/2018
Par Jérémie Paubel et Kevin Bouleau
Lorsque l’article L. 1224-1 du Code du travail trouve à s’appliquer, et indépendamment de la volonté des parties, le transfert des contrats de travail des salariés s’opère de plein droit à la date de l’opération de restructuration (fusion, cession, etc.). [1]
I – Le transfert automatique des contrats de travail
L’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail entraîne le transfert automatique et impératif des contrats de travail des salariés concernés (A). Une procédure spécifique est toutefois prévue pour les salariés protégés (B).
A – Le transfert automatique et impératif des contrats de travail
Une absence de formalités. Par application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, les contrats de travail des salariés concernés sont transférés automatiquement, aucune formalité n’étant requise. Même s’il peut être parfois prévu dans le cadre de la réorganisation une rétroactivité scale, permettant la consolidation des résultats scaux au cours de l’exercice de l’opération envisagée, cette dernière n’a aucune incidence sur la date de transfert des contrats de travail. Il n’est donc pas possible d’avancer ou de reculer la date de transfert à une date donnée, pour des questions pratiques liées par exemple à la paie. Les contrats de travail sont transférés au jour où l’opération entraînant les transferts (fusion, cession, etc.) est effective.
Tous les contrats de travail. L’article L. 1224-1 du Code du travail aura vocation à s’appliquer quel que soit le type de contrat de travail concerné, qu’il s’agisse aussi bien d’un contrat à durée indéterminée qu’à durée déterminée, à plein temps ou à temps partiel. Les contrats de professionnalisation ou d’apprentissage sont également concernés et sont transférés automatiquement.
Une information des salariés recommandée. Même si l’article 7, alinéa 6 de la Directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements prévoit une information individuelle, en cas d’absence d’institutions représentatives du personnel, la Cour de cassation est venue préciser que cette dernière n’était pas applicable à défaut de transposition en droit interne [2]. Néanmoins, dans la pratique, il est tout de même recommandé de prévoir en amont du transfert des contrats de travail :
- une information individuelle de chaque salarié concerné. Cette information leur permettra de connaître la date de transfert exacte ainsi que les modalités dudit transfert. Ce courrier peut également être l’occasion d’indiquer d’ores et déjà au salarié les possibles modications envisagées de son contrat de travail par son nouvel employeur (un changement de lieu de travail par exemple) ;
- une information collective des salariés. En pratique, une réunion peut être organisée par la direction de la société cédante avec les salariés devant être transférés, aussi bien pour les rassurer sur les conditions de ce transfert, que pour leur indiquer les conséquences de ce transfert sur leur statut individuel et collectif.
Le cas du refus de transfert. L’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail étant d’ordre public, ce transfert est impératif et empêche aussi bien le cessionnaire de sélectionner les salariés qu’il souhaite accueillir, que le cédant de choisir les salariés qu’il souhaite transférer, ou encore la possibilité de prévoir une procédure d’accord préalable du salarié [3]. Alors que le droit communautaire prévoit un droit de refus du transfert, le droit français ne prévoit pas cette possibilité. Le refus du transfert caractérise donc un manquement contractuel, pouvant justier un licenciement par le nouvel employeur. La jurisprudence est venue préciser que lorsque le contrat est transféré, le fait pour le salarié de ne pas se présenter sur son lieu de travail est un abandon de poste, pouvant être constitutif d’une faute grave [4] .
En pratique, dans ce type de situation, le repreneur prendra d’abord le soin de mettre en demeure le salarié de reprendre son poste, avant d’entamer toute procédure de licenciement pour faute.
De plus, il est important, notamment pour les postes «clés», de bien vérier en amont du transfert si les contrats de travail ne prévoient pas de clause en matière de transfert ou de changement de contrôle. En eet, il est possible pour les parties au contrat de travail de prévoir une clause permettant, par exemple, au salarié de rompre le contrat de travail, cette rupture étant imputable à l’employeur, en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement signicatif d’actionnariat entraînant une modication importante de l’équipe de direction. Un audit préalable des contrats de travail des postes clés concernés devra être réalisé afin de vérifier si ce type de clause existe.
B – Le transfert des contrats de travail des salariés protégés
Le transfert des salariés pouvant avoir une incidence sur le sort des mandats et des institutions représentatives en place dans la société cédante, une procédure d’autorisation est prévue par le Code du travail s’agissant du transfert des salariés protégés. La raison de cette procédure est simple : il s’agit de s’assurer que la société cédante ne souhaite pas profiter du transfert afin de se séparer de représentants du personnel.
Pas d’autorisation administrative en cas de transfert total d’activité. Si l’ensemble de l’entreprise ou de l’établissement est transféré, le risque de discrimination à l’encontre des représentants du personnel est écarté car ces derniers sont transférés au même titre que tous les autres salariés. Le transfert ne sera donc pas considéré comme discriminatoire [5].En cas de transfert d’un établissement, il est nécessaire de vérifier au préalable que cet établissement répond aux conditions posées par l’article L.2414-1du Code du travail [6].Ensuite, il est important de noter qu’à la suite du transfert, dans l’hypothèse où les mandats en cours ne sont pas transférés au sein de la nouvelle entité, les salariés concernés bénéficieront de la protection contre le licenciement applicable aux anciens représentants du personnel.
Une autorisation nécessaire en cas de transfert partiel d’activité. En cas de transfert partiel d’entreprise, et an de s’assurer que les salariés protégés ne font pas l’objet d’une mesure discriminatoire [7], le cédant doit obtenir l’autorisation, par l’inspection du travail, de procéder au transfert des salariés concernés. Tous les représentants du personnel (élus ou désignés) sont concernés par cette procédure préalable d’autorisation.
Procédure. La demande d’autorisation de transfert doit être adressée à l’inspecteur du travail quinze jours avant la date arrêtée pour le transfert, par lettre recommandée avec accusé de réception [8]. L’inspecteur du travail met ensuite à même le salarié de lui présenter ses observations écrites, et sur sa demande, des observations orales. A cette occasion, le salarié peut se faire assister d’un représentant de son syndicat.
L’inspecteur du travail prend sa décision dans un délai maximum de deux mois. Ce délai de deux mois court à compter de la réception de la demande d’autorisation de transfert. La décision de l’inspecteur du travail, qui doit être motivée, est notifée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à l’employeur, au salarié ainsi qu’à l’organisation syndicale concernée lorsqu’il s’agit du transfert d’un représentant syndical. Le silence gardé pendant plus de deux mois vaut décision de rejet [9].
En pratique, il est rare que la décision de l’inspection du travail soit rendue avant la date eective du transfert. Dans une telle situation, et même si les autres salariés (non protégés) sont transférés, le cédant doit continuer de fournir du travail et de rémunérer les salariés protégés tant que l’autorisation de l’inspection du travail n’est pas donnée. Si le transfert est autorisé, il s’effectue de plein droit à la date de la décision administrative.
II – Les conséquences du transfert des contrats de travail pour le nouvel employeur
Le transfert des contrats de travail oblige le nouvel employeur à maintenir les conditions d’exécution du contrat de travail (A). A la suite du transfert, se pose nécessairement la question de la répartition des dettes entre les deux employeurs successifs (B).
A – Le maintien des conditions d’exécution du contrat de travail
Le contrat de travail en cours à la date du transfert doit être maintenu dans les mêmes conditions[10]. Seul l’employeur change, les autres éléments du contrat de travail n’étant pas modiés par le transfert (qualication, rémunération, etc.). Néanmoins, plusieurs éléments du contrat de travail devront faire l’objet d’une attention particulière.
Maintien de l’ancienneté. Le salarié transféré conserve le bénéce de l’ancienneté acquise au service de son précédent employeur [11]. En pratique, le salarié transféré pourra, par exemple, bénécier d’une prime d’ancienneté, liée à l’application de la Convention collective applicable au cessionnaire, alors même qu’il n’en bénéciait pas chez le cédant. Il conviendra d’analyser au préalable les contrats de travail à la lumière de la Convention collective applicable au cessionnaire si celle-ci s’avère différente de celle applicable chez le cédant.
Clause de non-concurrence. Le cédant ne pourra se prévaloir contre le cessionnaire du bénéce d’une clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail des salariés transférés[12]. En revanche, le cessionnaire pourra se prévaloir de cette clause après la rupture du contrat de travail [13]. Les conditions de validité de la clause de non-concurrence devront s’apprécier au regard de la Convention collective applicable chez le cessionnaire
La possibilité pour le cessionnaire de proposer des modications des contrats de travail. S’il n’est pas possible de prévoir dans la convention de transfert, comme condition de reprise des contrats de travail, l’acception de modications contractuelles par les salariés transférés, rien n’interdit, par la suite, au cessionnaire, de proposer aux salariés transférés des modications de leurs contrats de travail. En eet, il sera souvent nécessaire, dans un souci d’harmonisation, de proposer des nouveaux contrats de travail, comportant les mêmes clauses que celles déjà applicables à l’ensemble des salariés du cessionnaire. La Cour de cassation est d’ailleurs venue conrmer que les contrats de travail transférés pouvaient être remplacés par un nouveau contrat proposé par le cessionnaire, à condition que le salarié concerné donne son accord à la novation et que cette dernière ne soit pas frauduleuse [14].
B – La répartition des dettes entre les deux employeurs
Le principe. Selon l’article L. 1224-2 du Code du travail, le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés transférés, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur, sauf :
- en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire (et ce afin de faciliter la reprise d’entreprises en difficulté) ;
- en cas de substitution d’employeurs intervenue sans qu’il y ait eu de convention entre ceux-ci. Cette situation vise essentiellement les hypothèses de successions de prestataires de services.
Dans ces deux situations, le salarié concerné ne pourra pas demander au cessionnaire le paiement des dettes nées avant la date de transfert de son contrat de travail.
L’article L. 1224-2 du Code du travail précise par ailleurs que «le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s’il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux».
Il est donc prévu une possibilité pour le cessionnaire de se retourner contre le cédant an d’obtenir remboursement des dettes nées avant le transfert des contrats de travail. Dans la pratique, des engagements peuvent être pris par le cédant, dans le cadre du contrat de cession, par lesquels il garantit la prise en charge financière de risques qui surviendraient postérieurement au transfert.
Les dettes exclues. Même si cette rédaction de l’article L. 1224-2 du Code du travail semble englober la plupart des dettes, il convient de préciser que sont exclus les rappels de salaires se rapportant à des contrats déjà rompus, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre d’un licenciement prononcé avant le transfert, ou encore les dettes à l’égard de tiers tels que les organismes sociaux ou fiscaux.
[1] V. également, notre article, Transfert automatique des contrats de travail : les conditions d’application à vérifier, Lexbase , éd. soc., n° 753, 2018.
[2] Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08-43.397, FS-P+B ; Cass. soc., 17 décembre 2013, n° 12-13.503, FS-P+B.
[3] Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-42.096, F-D.
[4] Cass. soc., 25 octobre 2000, n° 98-45.422, inédit ; Cass. soc., 4 avril 2006, n° 04-42.735, F-D
[5] CE, 1° et 4° s-s-r., 20 mai 1988, n° 72806, inédit au recueil Lebon.
[6] Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-15.294, FS-P+B.
[7] C. trav., art. L. 2414-1.
[8] C. trav., art. R. 2421-17.
[9] C. trav., art. R. 2421-11 et R. 2421-12.
[10] Cass. soc., 24 janvier 1990, n° 86-41.497, publié.
[11] Cass. soc., 17 mars 1998, n° 95-42.100.
[12] Cass. soc., 15 octobre 1997, n° 95-42.454.
[13] Cass. soc., 30 novembre 1994, n° 93-42.477.
[14] Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 01-43.687.