Article publié sur Lexbase Hebdo – la lettre juridique Edition n°728 du 25/01/2018
Par Jérémie Paubel et Kevin Bouleau
L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail a introduit dans le Code du travail un nouveau mode de rupture du contrat de travail, la rupture conventionnelle collective. Mesure phare des ordonnances « Macron », cette « RCC » ou « R2C » est un dispositif déjà à l’étude, voire mis en place dans plusieurs entreprises.
Alors que la majorité des dirigeants d’entreprises (84,1 %) jugeait la sécurisation des ruptures du contrat de travail comme une réforme prioritaire (1), ce dispositif « flexisécuritaire » de la rupture conventionnelle collective s’inscrit comme une réponse du Gouvernement à cette attente.
Résultant des articles 10 à 14 de l’ordonnance n° 2017-1387, ce nouveau dispositif est intégré au sein du Chapitre VII du Titre II du Livre II de la Première partie du Code du travail, portant sur les « Autres cas de rupture », dans une nouvelle section 4 dénommée « Rupture d’un commun accord dans le cadre d’accords collectifs ». L’objectif est donc de permettre des suppressions d’emplois via un mode autonome de rupture du contrat de travail qui ne soient pas justifiées par une motivation économique.
Ce nouveau dispositif de rupture conventionnelle collective a pour ambition de clarier le régime des départs volontaires, développé depuis maintenant plusieurs années (2), et de les inscrire dans un cadre indépendant de toute motivation économique (et donc, in fine, de la procédure applicable aux licenciements économiques). Ce dispositif est entré en vigueur le 22 décembre 2017, à la suite de la parution de deux décrets venant fixer les modalités de sa mise en oeuvre (3).
Nous traiterons ci-après de la mise en place du dispositif de rupture conventionnelle collective (I), de sa mise en oeuvre (II), et des questions pratiques posées par ce dispositif (III).
I – La mise en place du dispositif de rupture conventionnelle collective
Même si ce dispositif de départ volontaire se veut diérent des plans de départs volontaires « classiques » (A), sa mise en oeuvre doit obéir à certaines règles et doit à ce titre impérativement passer par le « double verrou » de la signature d’un accord collectif (B) et du contrôle de l’autorité administrative (C).
A – Du plan de départ volontaire à la rupture conventionnelle collective
Dans un premier temps présenté sous le nom d' »accord collectif portant plan de départ volontaire », lors de la publication du projet d’ordonnance publié à la n de l’été 2017 (4), c’est nalement la dénomination « d’accord portant rupture conventionnelle collective » qui a été retenue, an de différencier encore davantage ce dispositif des techniques déjà existantes.
La rupture conventionnelle collective et les dispositifs déjà existants. La rupture conventionnelle collective doit être distinguée des deux types de plans de départs volontaires déjà existants : le plan de départs volontaires dit « autonome » et le plan de départs volontaires intégré à un plan de licenciements (parfois appelé plan de départs volontaires « multifonctions »), dont il constitue un volet préalable. Ces deux types de plan de départs volontaires, dès lors qu’ils impliquent au moins dix suppressions de postes dans une entreprise d’au moins cinquante salariés, imposent la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Néanmoins, alors que le premier, reposant sur le volontariat, est exclusif de tout licenciement pour atteindre les objectifs de réduction des eectifs voulus par l’employeur et ne nécessite pas la mise en place d’un plan de reclassement interne (5), le second s’inscrit dans une mesure globale de réduction des eectifs dont il ne constitue qu’une mesure préalable, an de limiter le nombre de licenciements économiques (6).
Un régime proche de celui existant dans les plans de départs « autonomes ». A première vue, le dispositif de rupture conventionnelle collective s’inspire fortement des plans de départs volontaires « autonomes », c’est-à-dire dans lesquels aucun licenciement n’est envisagé si les objectifs de suppressions de postes ne sont pas atteints en raison d’un nombre insusant de volontaires. En eet, comme ce dernier, le dispositif de rupture conventionnelle collective exclut « tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois » (7). Dans la mise en oeuvre du dispositif de rupture conventionnelle collective, le choix est donc laissé au salarié, sans qu’il n’ait à craindre un licenciement dans l’hypothèse où il ne se porterait pas volontaire. De plus, et comme dans le cadre du plan de départs volontaires « autonome », le dispositif de rupture conventionnelle collective n’implique aucune obligation de reclassement interne, se limitant seulement aux « mesures visant à faciliter le reclassement externe des salariés » (8).
Une addition plutôt qu’une substitution. En réalité, le dispositif de rupture conventionnelle collective semble venir s’additionner plutôt que se substituer aux dispositifs déjà existants, car contrairement à ces derniers, il peut être mis en oeuvre indépendamment de toute justication économique, et sans qu’il soit donc nécessaire de respecter la procédure applicable en matière de licenciements économiques (imposant en premier lieu la consultation des instances représentatives du personnel). Le législateur a d’ailleurs modié l’article L. 1233-3 du Code du travail, relatif au licenciement pour motif économique, qui précise désormais que « les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants ». De même, le rapport remis au Président de la République indique que les plans de départs volontaires « multifonctions » (intégrés à un plan de licenciements) ne sont pas remis en cause, « dans la mesure où cela permet de limiter le nombre de licenciements contraints et d’encourager les projets professionnels et personnels des salariés » (9). Enfin, et afin d’éviter toute confusion, la loi précise également que les dispositions relatives à la rupture conventionnelle individuelle ne sont pas applicables aux ruptures de contrats de travail résultant des accords collectifs portant rupture conventionnelle collective (10).
Ce nouveau type de départ volontaire s’ajoute donc à la palette des dispositifs déjà mis à la disposition des employeurs.
B – La nécessité d’un accord collectif
La loi impose la signature d’un accord collectif assorti d’un certain nombre de garanties afin de sécuriser la mise en oeuvre du dispositif de rupture conventionnelle collective.
L’information de l’autorité administrative. Dès lors que l’employeur envisage une rupture conventionnelle collective, il doit informer sans délai l’autorité administrative de l’ouverture des négociations en vue de la conclusion d’un accord collectif (11). Il est précisé que l’autorité administrative compétente est « celle du lieu où l’entreprise ou l’établissement concerné par le projet de plan de départ volontaire est établi. Si le projet d’accord portant rupture conventionnelle collective porte sur des établissements relevant de la compétence d’autorités diérentes, le ministre chargé de l’Emploi désigne l’autorité compétente » (12). Cette information doit se faire par voie dématérialisée, comme ce qui se pratique déjà actuellement dans le cadre des procédures avec plan de sauvegarde de l’emploi (13).
L’information du comité social et économique (CSE). Il est prévu que l’accord collectif xe « les modalités et conditions d’information du comité social et économique » (14). Dans l’attente de la mise en place du comité social et économique, les attributions de cette instance sont exercées par le comité d’entreprise ou, le cas échéant, les délégués du personnel (15). Alors que le comité social et économique doit être consulté en cas de projet de restructuration et de compression des eectifs, l’instance doit ici être simplement informée, sans qu’un avis n’ait à être rendu. En effet, l’article L. 2312-39 du Code du travail prévoit que la consultation relative aux projets de restructuration et de compression des effectifs ne s’applique pas dans le cadre d’un accord collectif portant rupture conventionnelle collective. La question pourrait toutefois se poser d’une possible consultation du comité social et économique sur le fondement de l’article L. 2312-8 du Code du travail, imposant une telle consultation en cas de question intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, et ce d’autant plus si l’employeur envisage de supprimer un nombre important de postes via la rupture conventionnelle collective.
Par ailleurs, si le comité social et économique n’est pas consulté au stade de la négociation de l’accord de rupture conventionnelle collective, il doit l’être de manière régulière et détaillée s’agissant du suivi de la mise en oeuvre de l’accord. Les avis du comité social et économique devront être transmis à l’autorité administrative, de même qu’un bilan de la mise en oeuvre (16). Ce bilan (dont le contenu doit être xé par arrêté) devra être transmis dans un délai d’un mois à compter de la date de fin de la mise en oeuvre de la rupture conventionnelle collective (17).
Contenu de l’accord. A l’instar des plans de départs volontaires « classiques », la rupture conventionnelle collective n’aura pas à être justiée par un motif économique. Néanmoins, il pourrait être utile, en pratique, de préciser dans le préambule de l’accord le contexte dans lequel ce dernier est conclu, en indiquant les raisons (non liées à des justications économiques, mais par exemple à la stratégie de l’entreprise) aboutissant à la suppression de postes dans l’entreprise par le biais de départs volontaires. Cela permettrait de marquer encore davantage la frontière entre la rupture conventionnelle collective et les plans de départs volontaires liés à des justifications économiques.
Concernant le contenu de l’accord, selon l’article L. 1237-19-1 du Code du travail, il doit notamment déterminer :
- « Les modalités et conditions d’information du comité social et économique » (18).
- « Le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois associées, et la durée de mise en oeuvre de la rupture conventionnelle collective. » Sur ce point, on peut se demander si, dans le cadre de la négociation de l’accord, et même si cela n’est pas prévu par les textes, il serait également possible de prévoir, en plus du nombre maximal de départs souhaités, un nombre minimal de départs en deçà duquel l’employeur pourrait renoncer à mettre en oeuvre cet accord de rupture conventionnelle collective. Concernant le ciblage des postes dont la suppression est envisagée, il semble possible de se limiter à un établissement, un département ou encore à un métier, laissant une plus grande latitude à l’employeur par rapport à la notion de catégories professionnelles devant être utilisée dans les plans de départs volontaires « classiques ». L’accord collectif instaurant la rupture conventionnelle collective devra également prévoir les durées des diérentes phases (période pour postuler, période d’examen des candidatures, date des départs).
- « Les conditions que doit remplir le salarié pour être volontaire et les critères de départage entre les candidats au départ. » Sur ce point, l’employeur pourra, s’il le souhaite, se référer aux critères pour xer l’ordre des licenciements pour motifs économiques, ou à certains d’entre eux (19), ou vouloir utiliser d’autres critères dénis librement. Néanmoins, l’administration devra veiller à ce que les critères retenus ne soient pas discriminatoires.
- « Les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement ». La loi de nances pour 2018 (20) prévoit que ces indemnités seraient exonérées d’impôt sur le revenu, sans limitation de montant. Ce régime scal de faveur serait ainsi aligné sur celui actuellement applicable aux indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. De plus, ces indemnités seraient exonérées de cotisations de Sécurité sociale dans la limite de deux fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (soit 79 464 euros en 2018) et exonérées de CSG et de CRDS pour la fraction exonérée de cotisations de Sécurité sociale. Toutefois, si les indemnités de rupture versées sont supérieures à dix fois la valeur du plafond annuel de la Sécurité sociale (soit 397 320 euros en 2018), elles devraient être assujetties, dès le premier euro, à l’ensemble des cotisations de Sécurité sociale ainsi qu’à la CSG et à la CRDS.
- « Les modalités de présentation et d’examen des candidatures au départ des salariés, comprenant les conditions de transmission de l’accord écrit du salarié au dispositif prévu par l’accord collectif ». Le projet de loi ratiant les ordonnances portant réforme du droit du travail du 22 septembre 2017 (21) précise que l’accord devrait prévoir les modalités de conclusion d’une convention individuelle de rupture entre l’employeur et le salarié, et également l’exercice d’un droit de rétractation au prot du salarié. Il faut noter que ce droit de rétractation n’est pas imposé dans le cadre des plans de départs volontaires « classiques » (mais qu’il existe néanmoins pour la rupture conventionnelle individuelle).
- « Des mesures visant à faciliter le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ». L’article L. 1237-19-1 du Code du travail donne des exemples de mesures pouvant être proposées, mais l’employeur reste libre de prévoir d’autres actions an de faciliter ce reclassement externe (bilan d’orientation, coaching par un cabinet d’outplacement, etc.). Le projet de loi ratiant les ordonnances portant réforme du droit du travail du 22 septembre 2017 (22) prévoirait la possibilité d’ouvrir à ces salariés le bénéfice du congé de mobilité.
- « Les modalités de suivi de la mise en oeuvre eective de l’accord portant rupture conventionnelle collective (23) ». L’accord portant rupture conventionnelle collective doit comporter une clause de suivi.
Ces mentions qui, pour la plupart, empruntent au contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, sont obligatoires et constituent des minimas que l’employeur devra respecter an de ne pas se voir opposer un refus de validation de l’accord par l’administration. Il pourra, cependant, prévoir des mesures supplémentaires, ce qui s’avèrera d’ailleurs, en pratique, très certainement nécessaire an de convaincre les organisations syndicales de signer l’accord collectif relatif à la rupture conventionnelle collective.
Règles de signature de l’accord. L’article 40 de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail prévoit que « les règles de validité des accords visées à l’article L. 2232-12 du Code du travail sont applicables aux accords collectifs portant rupture conventionnelle collective prévus aux dispositions de l’article 10 de la présente ordonnance à la date d’entrée en vigueur de ces dispositions ». En conséquence, pour être valable, l’accord portant rupture conventionnelle collective devra être signé par une ou plusieurs organisations syndicales majoritaires. Lorsque l’accord a été signé par des syndicats ayant recueilli plus de 30 %, mais n’ayant pas atteint les 50 %, l’employeur peut le soumettre pour validation au référendum des salariés. Rien n’est précisé s’agissant de la possibilité de négocier un tel accord en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, mais cela semble admis sur la base des dispositions générales relatives à la négociation collective avec les représentants élus du personnel (24).
C – Le contrôle administratif de l’accord
A la suite de la conclusion de l’accord collectif, ce dernier est transmis à l’autorité administrative. Le contrôle opéré par l’administration s’inspire grandement de celui existant dans le cadre des procédures de licenciements collectifs avec mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
Procédure de transmission et administration compétente. L’accord collectif est transmis à l’autorité administrative pour validation (25). La demande de validation de l’accord doit être adressée à l’administration par voie dématérialisée et doit comprendre l’accord collectif ainsi que les informations permettant de vérier la régularité des conditions dans lesquelles il a été conclu (et notamment la bonne information du comité social et économique) (26). L’administration compétente est la Direccte dont relève l’entreprise ou l’établissement concerné par le projet d’accord portant rupture conventionnelle collective, et en cas d’absence d’établissement distinct, ou lorsque le projet d’accord collectif portant rupture conventionnelle collective inclut des établissements relevant de la compétence de plusieurs Direcctes, le Directeur de la Direccte qui a été saisi lors de l’ouverture des négociations procède à la désignation du Directeur régional compétent dans une décision communiquée à l’entreprise dans un délai de dix jours à compter de la réception de l’information par l’employeur du projet. A défaut de décision expresse, la Direccte compétente est celle dans le ressort duquel se situe le siège de l’entreprise (27).
Contrôle. La Direccte compétente contrôle l’accord collectif, s’assure que celui-ci exclut tout licenciement, qu’il prévoit bien toutes les mesures nécessaires et que le comité social et économique (ou le comité d’entreprise ou, le cas échéant, les délégués du personnel) a bien été informé (28). Le projet de loi ratiant les ordonnances portant réforme du droit du travail du 22 septembre 2017 (29) préciserait que la Direccte appréciera, au regard de l’importance du projet, si les mesures de reclassement externe et d’accompagnement sont précises et concrètes et si elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à l’objectif d’accompagnement et de reclassement externe des salariés. Le rapport au Président de la République précise que les Direcctes devront être « attentives, dans le cadre de l’homologation, au fait que la mesure ne soit pas détournée de son objet en faisant peser sur les comptes publics et l’assurance chômage des charges supplémentaires du fait d’un ciblage inapproprié sur les personnes seniors » (30).
Notication de la décision et information des salariés. A compter de la réception de l’accord, la Direccte dispose d’un délai de quinze jours pour notier sa décision à l’employeur, à l’instance représentative du personnel et aux organisations syndicales signataires de l’accord. Le silence gardé par la Direccte à l’issue de ce délai de quinze jours vaut décision de validation. Dans ce cas, l’employeur doit transmettre une copie de la demande de validation, accompagnée de son accusé de réception par l’administration à l’instance représentative du personnel et aux organisations syndicales signataires (31).
Accord invalidé. En cas de décision de refus de validation de l’accord, l’employeur, « s’il souhaite reprendre son projet, présente une nouvelle demande après y avoir apporté les modications nécessaires et informé le comité social et économique » (32). Il serait donc, dans ce cas, nécessaire de renégocier un accord collectif en prenant en compte la décision motivée de l’administration. Il n’est pas légalement requis d’informer les salariés en cas de refus de validation de l’accord mais, en pratique, une telle information apparaît souhaitable.
Contestation de l’accord. Le contenu de l’accord portant rupture conventionnelle collective et la régularité de la procédure précédant la décision de l’autorité administrative ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation (33). Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.
Ce contrôle de l’administration se rapproche donc de la procédure de validation de l’accord collectif relatif au plan de sauvegarde de l’emploi (pouvant intégrer un plan de départs volontaires), s’agissant aussi bien de la procédure applicable que du contrôle restreint opéré par l’administration ou encore des recours contentieux possibles.
II – La mise en oeuvre du dispositif
La mise en oeuvre de l’accord de rupture conventionnelle collective débutera par l’acception des candidatures puis les ruptures des contrats de travail (A), mais concerne aussi les obligations mises à la charge de l’employeur, aussi bien dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre que d’une potentielle revitalisation du bassin d’emploi (B).
A – De l’acceptation des candidatures aux ruptures d’un commun accord
Examen des candidatures. A la suite de la validation de l’accord, les salariés pourront se porter candidats au départ dans les conditions dénies par l’accord. Il conviendra, en pratique, de prévoir une candidature notiée par écrit, an de limiter tout contentieux sur ce point. L’acceptation par l’employeur de la candidature du salarié dans le cadre de la rupture conventionnelle collective emporte rupture de son contrat de travail d’un commun accord des parties (34). En pratique, un courrier devrait être envoyé au salarié an de l’informer que sa candidature est acceptée ou refusée. L’employeur devra veiller à ne pas refuser de manière discrétionnaire ou discriminatoire une candidature au départ et se baser sur les critères de départage objectifs prévus par l’accord collectif. Les règles posées par la jurisprudence concernant les refus de candidatures dans le cadre des plans de départs volontaires « classiques » auraient vocation à s’appliquer ici. Idéalement, il conviendrait d’indiquer précisément au salarié, par écrit, les raisons objectives qui s’opposent à son départ, en se basant sur les critères prévus dans l’accord collectif. Un refus du départ par l’employeur, alors que le salarié remplit toutes les conditions posées par l’accord collectif, pourrait ouvrir la voie d’une action contentieuse initiée par le salarié à l’encontre de l’employeur.
Ruptures d’un commun accord. Contrairement à la rupture conventionnelle individuelle, l’administration ne contrôle pas la convention de rupture mais seulement l’accord collectif, comme dans le cadre d’un plan de départ volontaire « classique ». Alors qu’aucun formalisme particulier n’était initialement imposé, le projet de loi ratiant les ordonnances portant réforme du droit du travail du 22 septembre 2017 (35) prévoirait que l’accord collectif devrait préciser les modalités de conclusion d’une convention individuelle. En pratique, la convention de rupture individuelle devrait notamment prévoir la date de départ, les indemnités versées, le sort de la clause de non-concurrence le cas échéant, la portabilité en matière de prévoyance et de frais de santé, etc.). Par ailleurs, concernant les salariés protégés, l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail sera, bien entendu, requise, et la rupture ne pourra intervenir qu’à compter du lendemain de ladite autorisation. Il faut, enn, préciser que, tout comme les salariés licenciés, les volontaires pourront bénéficier de l’assurance-chômage (36).
Contestation de la rupture. Toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail doit être formée, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date de la rupture du contrat (37). A défaut d’engagement d’une action prud’homale dans ce délai, l’action sera irrecevable. En pratique, le juge compétent serait le juge prud’homal pour les ex-salariés ainsi que le juge administratif pour les ex-salariés protégés. Les contentieux devraient être limités dans la mesure où le salarié a été volontaire au départ, et devraient essentiellement porter sur des cas de vices du consentement.
B – Les obligations de l’employeur au stade de la mise en oeuvre de l’accord
Le suivi de l’accord. L’accord doit prévoir les modalités de suivi de sa mise en oeuvre eective (38), et ce suivi doit faire l’objet d’une consultation régulière et détaillée du comité social et économique, dont les avis sont transmis à l’autorité administrative. L’autorité administrative est associée au suivi de ces mesures et reçoit un bilan, établi par l’employeur, de la mise en oeuvre de l’accord portant rupture conventionnelle collective (39). Le décret relatif à la mise en oeuvre des ruptures d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif prévoit que ce bilan est transmis à l’autorité administrative dans un délai d’un mois (40). Cette obligation, existant également dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (41) est ici requise, alors même que les instances représentatives du personnel ne sont pas consultées en amont de la transmission de l’accord à l’autorité administrative.
La possible revitalisation du bassin d’emploi. Lorsque, par l’ampleur des suppressions d’emplois résultant de l’accord collectif, l’équilibre du ou des bassins d’emploi est aecté, certaines entreprises sont tenues de contribuer à la création d’activités et au développement des emplois, et d’atténuer les eets de l’accord sur les autres entreprises du bassin d’emploi (42). Les entreprises concernées sont les entreprises ou établissements d’au moins mille salariés, les groupes d’entreprises formés par une entreprise dominante ayant son siège social en France et les entreprises qu’elle contrôle, tenues de mettre en place un comité de groupe (conformément à l’article L. 2331-1 du Code du travail N° Lexbase : L9924H83), et les entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire visées aux articles L. 2341-1 et L. 2341-2 du Code du travail, dès lors qu’elles emploient au moins 1 000 salariés. Ce même article précise que les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire ne sont pas concernées. An de remplir cette obligation, une convention est signée avec l’administration dans les six mois suivant la validation de l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective (43). Les modalités de cette obligation sont précisées par le Code du travail (44).
III – Un dispositif attractif mais dont l’application pratique peut sembler limitée
Ce dispositif attractif pourrait s’avérer dicile à mettre en oeuvre en pratique (A) et des zones d’ombres subsistent encore quant à l’application du dispositif (B).
A – Les difficultés pratiques de mise en oeuvre
Un dispositif attractif pour l’employeur… Pour l’employeur, et par rapport à un plan de départ volontaire « classique », le premier intérêt de ce dispositif réside dans la possibilité de prévoir des départs volontaires sans avoir à justier de dicultés économiques. De plus, l’employeur est dispensé de consulter les représentants du personnel en amont de la négociation puis de la transmission de l’accord à l’autorité administrative. Enn, tout comme dans le cadre de plans de départs volontaires « classiques », les contestations futures des ex-salariés devraient être limitées, dès lors que ces derniers ont choisi de quitter l’entreprise.
...mais limité pour les organisations syndicales. En pratique, pour les organisations syndicales, l’intérêt de signer un accord de rupture conventionnelle collective pourrait s’avérer limité, et l’employeur risque d’avoir souvent des dicultés à convaincre ces dernières. En eet, contrairement à ce qui est prévu dans le cadre d’un plan de départ volontaire « classique », les salariés quittant l’entreprise ne pourront pas bénécier du congé de reclassement ou du contrat de sécurisation professionnelle, ni de la priorité de réembauchage. L’employeur devra donc trouver un dispositif attractif (par exemple, en prévoyant une indemnité de départ conséquente, ou des systèmes de pré-retraite « maison », des aides importantes pour la création ou la reprise d’entreprise ou des formations de longue durée, voire une renonciation à tout licenciement économique pendant une période déterminée à la suite de la mise en oeuvre de la rupture conventionnelle collective, etc.) avec les conséquences financières associées afin de convaincre les organisations syndicales de signer cet accord collectif.
En cas de blocage avec les organisations syndicales, l’employeur voulant mettre en place des départs volontaires devrait s’orienter vers le dispositif plus contraignant du plan de départ volontaire « classique », impliquant la consultation préalable des instances représentatives du personnel. Il faut également souligner que passer par le dispositif moins contraignant de la rupture conventionnelle collective pourrait, au final, allonger la réalisation des départs volontaires, car en cas d’échec des négociations de l’accord de rupture conventionnelle collective, l’employeur devrait alors s’orienter vers un plan de départ volontaire « classique », alors qu’un échec des négociations dans le cadre d’un plan de départ volontaire « classique » ne rallongerait pas la procédure, l’employeur pouvant s’orienter vers une mise en place unilatérale.
B – Les incertitudes liées au dispositif
Succession d’un accord portant rupture conventionnelle collective et d’un plan de sauvegarde de l’emploi. La question se pose de savoir quelle serait la conséquence de la signature d’un accord de rupture conventionnelle collective permettant le départ de salariés et de la mise en place subséquente d’un plan de sauvegarde de l’emploi, dans l’hypothèse où l’objectif du nombre de postes supprimés n’aurait pas été atteint via la rupture conventionnelle collective, ou encore en cas de dégradation rapide de la situation économique les mois suivants sa mise en oeuvre. Dans ce cadre, il n’est pas à exclure que des salariés agissent sur le fondement de l’inégalité de traitement, si les dispositions prévues dans le cadre de la rupture conventionnelle sont moins favorables que celles prévues dans le plan de sauvegarde de l’emploi. La question d’une possible action sur le fondement de la fraude à la loi pourrait également se poser, s’il peut être démontré que l’employeur savait, au moment de la mise en place de la rupture conventionnelle collective, qu’il procéderait ensuite à des licenciements économiques (la rupture conventionnelle collective lui permettant, notamment, de passer sous les seuils imposant la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi). Ces risques liés à l’articulation d’une rupture conventionnelle collective et de procédures de licenciements collectifs sont aujourd’hui dicilement appréciables, et les juges ne manqueront sans doute pas d’apporter les éclaircissements nécessaires sur ce sujet.
Sanction de la décision de validation de l’accord collectif. Le dispositif prévu par l’ordonnance ne précise pas les conséquences d’une décision de justice venant invalider la décision de validation de l’accord collectif. La nullité des départs volontaires serait-elle encourue comme dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi intégrant un plan de départ volontaire (45) ? La question reste en suspens mais ne manquera pas de se poser pour les praticiens.
Il conviendra donc d’être attentif aux réactions de l’administration et du juge administratif dans les prochains mois an d’apprécier quelles sont les véritables marges de manoeuvres laissées aux entreprises dans le cadre de ce dispositif.
(1) Réforme du droit du travail : les vraies attentes des dirigeants d’entreprise, Amplitude et Fidal, juin 2017. Voir le numéro spécial sur les ordonnances réformant le droit du travail, Lexbase, éd. soc., n° 712, 2017 : Ch. Radé, Ordonnances réformant le droit du travail : le droit de la négociation collective après l’ordonnance n° 4 relative au renforcement de la négociation collective ; S. Tournaux, Ordonnances réformant le droit du travail : règles générales relatives au licenciement et rupture d’un commun accord collective, voir également du même auteur Ordonnances réformant le droit du travail : le licenciement pour motif économique ainsi que Ordonnances réformant le droit du travail : inaptitude et dispositions diverses ; Ch. Willmann, Ordonnances réformant le droit du travail : mesures liées aux conditions de travail et à la pénibilité, voir également Ordonnances réformant le droit du travail : mesures liées à l’embauche et à la gestion des effectifs ; G. Auzero, Ordonnances réformant le droit du travail. L’avènement du comité social et économique : les attributions du CSE , voir également Ordonnances réformant le droit du travail. L’avènement du comité social et économique : mise en place et suppression du CSE ainsi que Ordonnances réformant le droit du travail. L’avènement du comité social et économique : le fonctionnement du CSE.
(2) Selon le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, « les plans de départs volontaires qui inspirent la mesure représentent aujourd’hui environ 13 % des plans de sauvegarde de l’emploi ».
(3) Décrets n° 2017-1723 du 10 mai 2017, relatif à l’autorité administrative compétente pour valider l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective et n° 2017-1724 du 20 décembre 2017, relatif à la mise en oeuvre des ruptures d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif, JO du 22 décembre 2017.
(4) Projet d’ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail du 31 août 2017.
(5) Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-15.187, FS-P+B+R+I : « si l’employeur qui, pour des raisons économiques, entend supprimer des emplois en concluant avec les salariés intéressés des accords de rupture amiable est tenu d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi lorsque les conditions prévues par l’article L. 1233- 61 du Code du travail sont remplies, un plan de reclassement, qui ne s’adresse qu’aux salariés dont le licenciement ne peut être évité, n’est pas nécessaire dès lors que le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppressions d’emplois ».
(6) Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516, FS-P+B+R+I : « si l’employeur qui entend supprimer des emplois pour des raisons économiques en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable, n’est pas tenu d’établir un plan de reclassement interne lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d’emplois, il en va autrement lorsque le projet de réduction d’effectifs de l’employeur implique la suppression de l’emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l’entreprise dans le cadre du plan de départs volontaires ; que le maintien de ces salariés dans l’entreprise supposant nécessairement en ce cas un reclassement dans un autre emploi, un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l’emploi »
(7) C. trav., art. L. 1237-19.
(8) C. trav., art. L. 1237-19-1.
(9) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.
(10) C. trav., art. L. 1237-16.
(11) C. trav., art. L. 1237-19.
(12) C. trav., art. L. 1237-19-5 ; décret n° 2017-1723, 20 décembre 2017, relatif à l’autorité administrative compétente pour valider l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective.
(13) C. trav., art. D. 1237-7
(14) C. trav., art. L. 1237-19-1.
(15) Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, art. 40, III.
(16) C. trav., art. L. 1237-19-7.
(17) C. trav., art. D. 1237-12.
(18) Voir le paragraphe relatif à l’information du comité social et économique (I, B).
(19) C. trav., art. L. 1233-5.
(20) Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, , art. 3, modifiant l’article 80 duodecies du Code général des impôts.
(21) Ce projet de loi vise à ratier cinq ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017, d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social et publiées le 22 septembre 2017. Adopté le 28 novembre 2017 en première lecture dans le cadre de la procédure accélérée, le texte doit être présenté au Sénat à partir du 23 janvier 2018. Au stade de la rédaction de cet article, il ne s’agit encore que d’un projet de loi de ratification.
(22) Voir préc., note 21.
(23) Voir le paragraphe relatif au suivi de l’accord (II, B).
(24) C. trav., art. article L. 2232-21 et ss..
(25) C. trav., art. L. 1237-19-3.
(26) C. trav., art. D. 1237-9.
(27) C. trav., art. R. 1237-6 et R. 1237-6-1.
(28) C. trav., art. L. 1237-19-3.
(29) Voir préc., note 21.
(30) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.
(31) C. trav., art. L. 1237-19-4.
(32) C. trav., art. L. 1237-19-6.
(33) C. trav., art. L. 1237-19-8.
(34) C. trav., art. L. 1237-19-2.
(35) Voir préc., note 21.
(36) C. trav., art. L. 5421-1.
(37) C. trav., art. L. 1237-19-8.
(38) C. trav., art. L. 1237-19-1.
(39) C. trav., art. L. 1237-19-7.
(40) C. trav., art. D. 1237-12.
(41) C. trav., art. L. 1233-63.
(42) C. trav., art. L. 1237-19-9.
(43) C. trav., art. L. 1237-19-10.
(44) C. trav., art. L. 1237-19-9 à L. 1237-19-14.
(45) Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-26.414, FS-P+B.